> Une brève histoire de Sharp's Commercials et Bond Cars Ltd. <Article de Paul Grogan, écrit en 1990 pour le Triumph Sports Six Club, traduit par Eric Rozenberg pour le Triumph Sports Six Club Belgium.Les origines de la société remontent à 1922, lorsque Paul Sharp ouvre un petit garage sur Blackpool Road, à Ashton, Preston. Il le baptise du nom de Sharp's Garage (1922) Limited. En 1938, l'affaire est rachetée par Loxhams & Bradshaw, alors en pleine expansion, et la société est rebaptisée Ashton Preston Garages Limited. A peu près au même moment, un contrat de huit ans, conclu entre la General Motors aux Etats-Unis et Bedford Trucks en Angleterre, arrive à expiration. Ce contrat stipulait que General Motors n'importerait pas ses camions Chevrolet en Angleterre pour permettre à Bedford Trucks d'exploiter le marché du Royaume-Uni. Le groupe Loxhams & Bradshaw flaire la bonne affaire et tente immédiatement d'obtenir la distribution des camions Chevrolet pour tout le nord de l'Angleterre. A cette fin, une nouvelle société est mise sur pied : il s'agit de Sharp's Commercials Limited. Pendant la guerre, Sharp's Commercials a continué de prospérer en assemblant des camions Chevrolet "CKD" pour le Ministère de l'Equipement grâce au "Lend/Lease Agreement" que la Grande Bretagne et les Etats-Unis avaient signé. En 1942, tandis qu'un nombre de plus en plus important de camions était mis en service, le gouvernement décida d'octroyer des contrats à des sociétés civiles afin qu'elles assurent l'entretien de ces véhicules pour le compte de l'armée. Sharp's Commercial reçut un de ces contrats, mais leurs deux usines tournaient déjà à pleine capacité pour produire les camions ; il fallait donc trouver de nouveaux bâtiments. On les trouva en achetant une ancienne corderie dans Godford Street à Preston. A la fin de la guerre, les exigences de l'armée évoluant, Sharp's Commercial voit son rôle redéfini en entreprise de reconditionnement de véhicules. Pour reconditionner un véhicule, il fallait le démonter entièrement, faire disparaître toute trace de peinture, repeindre chaque pièce, puis réassembler le véhicule pour l'amener à un état "neuf". Il s'agissait de 4x4 Matador, de Bedford 3 Tonnes, de camions Chevrolet et de camionnettes Hillman. Le Ministère exigeait une production de 40 véhicules par semaine. En avril 1946, le jeune Lieutenant Colonel C.R. Gray revient d'Allemagne après sa démobilisation. Il est engagé par Sharp's Commercial au poste de Directeur. En réorganisant toute l'entreprise et grâce à une somme de travail énorme, il parvint à atteindre les objectifs du Ministère. Sharp's Commercials redevient une société rentable. Au fur et à mesure de la démobilisation des forces armées, il devint évident que tôt ou tard, la demande de véhicules reconditionnés allait disparaître et que le contrat avec le Ministère de l'Equipement allait être résilié. La société n'est donc pas étonnée d'être prévenue, au début 1948, qu'il ne sera plus nécessaire de produire des véhicules reconditionnés à partir du mois de décembre. Environ à la même époque, le Colonel Gray est contacté par M. Lawrence Bond, qui a été averti de la fin du contrat et qui veut savoir s'il est possible de louer l'usine vide pour y produire la voiture légère à trois roues qu'il a conçue. Le colonel refuse de louer l'usine, mais offre de construire la voiture pour Laurie Bond, lequel refuse à son tour. Quelques semaines plus tard, Laurie Bond reprend contact avec le colonel Gray, qui accepte finalement de voir le prototype de l'auto. La journée suivante se passe sur les routes de la campagne anglaise, dans une voiture qui tombe souvent en panne, qu'on ne peut pas toujours arrêter et qui perd même parfois totalement sa direction. Pourtant, aux yeux du Colonel (qui n'avait que 28 ans), il ne s'agit que de "détails". Il devine que le rationnement de l'essence va sans doute se prolonger et qu'un marché pour un tel type de véhicule est sur le point de naître. Un accord est signé qui stipule que Laurie Bond se mettra au service de Sharp's Commercial pour fournir du travail de conception. A la fin de 1948, la Bond Minicar Mark A est prête à entrer en production. La petite Bond, avec sa carrosserie en aluminium, son pare-brise en Perspex, son moteur deux temps de 122cc, sa direction à câbles, ses freins agissant sur les seules roues arrières et son absence de suspension arrière remporte un succès immédiat. En la menant gentiment, on pouvait parcourir près de 100 miles avec un seul gallon d'essence. (ndtr : environ 3l/100km) C.P. Reid, journaliste à "Motor Cycling" se rappelle avoir été frappé par l'audace de ce concept automobile entièrement nouveau. "Nous n'osions même pas considérer la Bond comme une voiture et nous avons été plutôt surpris de constater qu'elle fonctionnait". En avril 1951, la Mark A évolue pour devenir Mark B. Ce nouveau modèle recelait de nombreuse nouveautés, parmi lesquelles un plus grand coffre, un moteur de 197cc, un pare-brise en Triplex et une suspension arrière. La Mark C est présentée en octobre 1952. Elle offre une nouvelle carrosserie, elle n'a qu'une seule porte (côté passager), une suspension arrière "Flexitor" montée sur caoutchouc et elle possède ce qui allait devenir la marque de fabrique des Bond Minicar, à savoir un rayon de braquage de 180°. La Mark D voit le jour en mai 1956. Elle semble identique au modèle précédent, mais le passage à 12 Volts du système électrique permet l'installation d'un démarreur "Siba Dynastart" pour le nouveau moteur de 197 cc. Pour la première fois, une Bond possédait une marche arrière. En fait, en faisant tourner le moteur à l'envers, les trois vitesses pouvaient être utilisées. La popularité des Minicar ne cesse de s'affirmer, les chiffres de production augmentent et la place commence à manquer à Gosford Street au point qu'il faut envisager de se transporter vers des locaux plus spacieux. Le problème est résolu en 1957 par l'achat des vieux bâtiments d'India Mill, qui abritaient jadis une des plus importantes usines de traitement du coton à Preston. En octobre 1957 apparaît la Mark E. Sa ligne se rapproche de celle d'un voiture puisqu'elle est équipée de deux portes (conducteur et passager), d'un grand pare-brise en Triplex, de phares de 7 pouces et d'un châssis monocoque en acier. Elle est cependant propulsée par le moteur deux temps de 197cc. La Mark F suit rapidement puisqu'elle est présentée en novembre 1958. Elle est presque identique à la Mark E, à l'exception de son moteur, qui passe à 250cc. Malgré tout, la publicité la présentait toujours comme "la voiture la plus économique du monde", même si la consommation annoncée de 3,5l/100km semble un peu optimiste. La dernière phase de l'histoire des Minicar commence en août 1961 avec la présentation de la Mark G. Pour répondre aux souhaits des clients et pour combattre la concurrence (la Mini était en train de faire un malheur), différentes améliorations sont apportées à la carrosserie. Un pare-brise redessiné permet de gagner suffisamment en habitabilité pour transporter confortablement quatre adultes, les fenêtres s'ouvrent, et surtout, les freins sont maintenant hydrauliques (merci à l'Austin A30). Durant plusieurs années, les Minicar ont joui d'une grande popularité. Cependant, alors que la Grande Bretagne entre dans l'ère des "swinging sixties", les ventes commencent à décliner. Cette tendance est encore accentuée lorsque le gouvernement décide de ramener les taxes sur les voitures de 45% à 25%, les voitures à trois roues continuant d'être taxées à 26%. Cette décision porte un coup sévère à la société. Heureusement, le désastre n'est pas complet, puisque la situation pousse Sharp's Commercial à étendre ses activités à d'autres domaines, comme le Trailer Tent (camping car) et le Power Ski. (Sharp's Commercial avait tenté une percée sur le marché du scooter en présentant quatre modèles entre 1958 et 1962, mais le succès ne fut jamais vraiment au rendez-vous). Ces nouveaux débouchés sauvent la société de la fermeture, bien qu'une centaine de travailleurs semi-qualifiés (un tiers de l'effectif) doive être licencié. En mai 1963, l'Equipe GT est annoncée et l'avenir de la nouvelle société "Bond Cars Limited" semble rose. Le Lancashire Evening Post informe ses lecteurs que l'usine doit travailler 7 /7 jours pour pouvoir faire face aux commandes. Le succès de la GT (elle ne fut officiellement baptisée GT 2+2 qu'à partir d'août 1964) est à l'origine de la production de la GT4S, à partir de septembre 1964. Comme le nouveau modèle offre plus de place à l'arrière, possède un couvercle de malle et se voit doté d'un nouveau capot, la production de la GT 2+2 est stoppée peu de temps après la présentation de la GT4S, à l'hôtel Dorchester de Londres, en octobre. Si l'Equipe avait remis Bond Cars sur la voie de la prospérité, le marché des voitures a trois roues n'est pas totalement mort et le Minicar possède toujours de loyaux supporters. Il est encore possible de commander une Mark G, soit en berline, soit en break ou en tourer et la dernière Minicar sera produite jusqu'en novembre 1966. Entre temps, Bond gardait sa confiance au marché des trois troues et en août 1965, la Bond 875 est présentée aux concessionnaires. La nouvelle carrosserie en fibre de verre reprenait les trains roulants de l'Hillman Imp, mais utilisait le moteur du break Husky. Le système de guidage de la roue avant fut conçu par Laurie Bond ; pour améliorer la tenue de route, elle s'inclinait dans les virages. Des problèmes de poids et de refroidissement retardèrent la lancement de la 875 jusqu'avril 1966. Ce modèle était destiné à concurrencer les modèles similaire de chez Reliant. Malheureusement, les problèmes de poids avaient été résolus en revoyant l'équipement intérieur à la baisse et le roof-pack, proposé en option, ne compensait pas l'absence d'un vrai coffre à bagages. Du côté des atouts, on note un temps de 0-100 km/h de moins de 16 secondes, ce qui était très rapide pour l'époque, et de nombreux automobilistes ont du se demander ce qu'était cet engin à trois roues qui venait de les dépasser. En février 1967, la GT4S hérite du moteur 1296cc de la Spitfire Mk3 et peu de temps après, en août, la nouvelle Equipe 2 litre GT Mk1 est présentée au public. La production de la GT4S fut suspendue, le temps de constituer des stocks de 2 litre ; ensuite, les deux modèles furent construits simultanément. Au départ, la nouvelle carrosserie et l'augmentation de puissance de la 2 litre ne devaient pas concurrencer la GT4S. Le but était de combler la part du marché où le client souhaitait une voiture Grand Touring un peu différente. En fait, le volume de vente de la 2 litre était si important que la GT4s ne fut plus produite que sur commande (on en produisit moins de 400 au cours des trois années suivantes). Le succès aidant, en septembre 1968, Bond annonce la naissance de l'Equipe 2 litre Mk2 et de sa version cabriolet. Les perspectives d'avenir semblaient favorables, mais à cette époque, d'importants changements allaient survenir au sein du groupe Loxham & Bradshaw, qui allaient affecter profondément Bond Cars Limited. Le Colonel Gray était devenu PDG du groupe Loxham & Gray en 1959 et en 1962, il céda la gestion de Sharp's Commercial à Tom Gratrix. En 1965, le Colonel avait acquis un autre groupe de sociétés dans le Nord-Est et en 1968, il décida de vendre la totalité de ses sociétés au groupe Dutton-Forshaw. Le nouveau conseil d'administration voulut que le Colonel Gray consacre tout son temps à la gestion du nouveau groupe et qu'il ne se disperse pas à prendre soin des intérêts de Bond Cars Limited. La société fut donc vendue à regrets. Une tentative de rachat par la direction de bond échoua car il fut impossible de réunir les fonds suffisants. Il restait donc deux acheteurs potentiels ; Standard Triumph et Reliant. Depuis l'apparition de l'Equipe, Bond entretenait de très bonnes relations avec Standard Triumph et il ne semblait pas impossible que Triumph rachète la société. Reliant partageait le même intérêt pour les véhicules à trois roues ; une fusion avec Triumph leur aurait ouvert les portes du réseau en dehors du Royaume Uni. Selon nos informations, l'idée d'une fusion avec Reliant ne plaisait pas beaucoup à Triumph, puisque Reliant était associé de longue date à Ford. Il a donc été décidé de ne rien tenter de ce côté et d'attendre. Il est vraisemblable qu'ils espéraient qu'une fusion Reliant-Bond soit opérée avant de racheter les deux sociétés en cas d'échec. Les négociations prennent fin le 16 février 1969 et Reliant devenant le nouveau propriétaire de Bond cars Limited. A l'époque, un porte-parole de Reliant fait la déclaration suivante : "Il a été dit clairement par Reliant et Bond que l'usine de Preston continuera de fonctionner". Après quelques mois, les nouveaux propriétaires choisissent de réorganiser la production. La première victime de cette réorganisation est la 875. Reliant avait déjà rencontré des problèmes pour rester sous la limite des 400 kilos exigée par la commission d'homologation avec leur modèle Regal et la 875 était très proche de cette limite. Sa production fut donc abandonnée au profit d'un nouveau modèle de véhicule à trois roues, conçu par les studios Ogle à Letchworth. En juillet 1969 a lieu le lancement du Scooter Ski, sorte de mobylette aquatique. Reliant en avait obtenu la commande de la société Scooter Ski Sales Limited de Draycott, dans le Derbyshire. Une première série de 1000 exemplaires sera produite, afin de tester la réaction du marché et une série supplémentaire de 2500 exemplaires était envisagée. En fait, on ne construisit que 616 exemplaires du Scooter Ski à Preston. En janvier 1970, la production du nouveau modèle, le Bug, démarre tandis que le dernier 875 sera construit un mois plus tard. La naissance d'un nouveau modèle révèle toujours certains défauts, mais le Bug semble avoir beaucoup souffert de problèmes de moulage de carrosserie, d'alignement de la caisse sur le châssis et d'assemblage. La présentation au public aura finalement lieu le 2 juin 1970. Quelques mois plus tôt, une nouvelle politique de franchising au sein de BMC avait causé la fusion de Jaguar, Rover et Triumph. Par conséquent, la gamme des modèles offerts était beaucoup plus vaste, ce qui signifiait que l'Equipe n'y avait plus sa place. Reliant ne pouvait donc plus compter sur cet accès facile aux marchés étrangers et on peut se demander si les problèmes de production du Bug ne faisaient pas partie d'une politique délibérée de discrédit de l'usine de Preston afin de pouvoir décider de sa fermeture à la première occasion. En juillet 1970, un communiqué émanant de Reliant annonce que Bond Cars fonctionne à perte et que puisqu'il n'existe aucun espoir pour l'usine de Preston de revenir à la rentabilité dans un avenir proche, la production sera arrêtée à la fin de l'année. Les productions du Bug et le Scooter Ski sont rapidement transférées vers d'autres usines du groupes et les quelques dernières GT4 et Equipes 2-Litre sont terminées au cours du mois d'août 1970. A Noël 1970, India Mill et l'usine de Ribleton Lane sont vides de tout outillage, machinerie ou équipement. Le nom de Bond continuera d'être porté par le Bug jusqu'en 1974, mais les Bond de Preston n'existaient plus. Paul Crogan pour le Triumph Sports Six Club (1990), traduction Eric Rozenberg
|
Amicale Spitfire